24h pour tout quitter sans se retourner !
2 participants
- Soraya
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24h pour tout quitter sans se retourner !
Jeu 11 Fév - 19:09
"Lorsque tu seras de l'autre côté de ce sas quoi qu'il arrive, prends cet avion ! Et surtout marche droit, tu m'entends ? Ne laisse rien paraître." me dit-elle. Les joues entre les mains de ma mère, je regarde ses yeux brillants de larmes. Elle me fixe intensément comme pour trouver le passage vers mon âme et pour s'assurer que j'ai bien compris.
Nous sommes à l'aéroport , un petit sas aux vitres de l'autre côté sont opaques me sépare de la zone de non-retour où je dois affronter la police, transmettre mes documents de sortie du territoire et faire apposer sur mon passeport le tampon rouge "autorisation de sortie , sans autorisation de retour"
Un dernier "au revoir", les yeux humides de mon père, le regard inquiet de mon oncle qui se force à sourire pour me rassurer, je regarde autour de moi, ma grand mère et mes tantes me regardent avec affection, ils m'ont soutenue et accompagnée jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière limite.
Ultimes violences et humiliationJe dois partir.
Je pousse la porte et traverse le sas.
De l'autre côté des vitres opaques, je suis immédiatement interceptée par une femme soldat de l'armée de la révolution (ces femmes nous les appelions les corbeaux , vêtues d'une burqa noire.) Un ordre "entre là dedans !"
Un pilote à quelques mètres ma lance un regard exacerbé et lève les yeux au ciel
Je pénètre dans cette petite pièce et découvre une chaise, un bureau et un lit de camp et ... une Kalachnikov contre le mur .
- Déshabille-toi
- Me déshabiller ?
- T'es sourde ?
Devant son regard méprisant je me déshabille gênée , je me dépêche pour en finir vite tournant dos au corbeau.
Soudain, je ressens une douleur aiguë qui irradie dans tout mon corps, je tombe à genou
Une deuxième douleur à l'épaule gauche
Je tourne la tête: mon sac par terre est déjà éventré, vidé, je lève les yeux vers elle qui me présente la crosse de sa Kalachnikov , je cache mon visage ...
- Retourne toi !
Le 4ème coup dans le ventre me donne des vertiges, je sens que je vais m'évanouir .
- Rhabilles toi !
Mes mouvements sont lents et mes mains tremblent , je récupère mon sac dans lequel les objets sont maintenant en vrac
Elle me tend mon billet et mon passeport , un sourire se dessine autour de ses lèvres . Il faut que je parte avant qu'elle ne change d'avis ! Je me jette dehors.
Toutes deux me font signe de monter plus vite la passerelleAveuglée par la luminosité, je ne vois pas les zones périphériques mais l'avion est là, face à moi. Quelques 50 mètres nous séparent , j'avance et je trébuche sans raison, je me remets debout tant bien que mal et essaie d'oublier les douleurs qui m'envahissent , je ressens des présences hostiles sans pouvoir les identifier...
Concentre toi !
L'hôtesse en haut de l'escalier, me fait signe de me dépêcher. Je la regarde, je la fixe, elle est mon objectif ...
Prends cet avion !
Est ce que quelqu'un m'appelle? Je tourne la tête mais ne vois que la réverbération des rayons du soleil dans les baies-vitrées. Je regrette immédiatement ce geste: à nouveau aveuglée, une violente douleur siffle dans mes tempes.
L'hôtesse insiste à nouveau...
J'avance, j'avance, mais mon sac pèse de plus en plus lourd
Je suis en bas des marches.
Je m'accroche à la rampe , je monte une marche qui me parait immensément haute , je pense aux enfants , comment peuvent ils monter des marches aussi hautes ?
Une autre, une autre encore... Je vois une ombre inquiétante passer sous l'escalier Je regarde l'hôtesse, elle est toujours là. Elle fixe l'endroit et se tourne vers l'intérieur de l'appareil. Puis elle revient se positionner sur les marches de la passerelle une deuxième hôtesse face à elle. Toutes deux me font signe de monter plus vite...
Encore une ... arrivée à la dernière marche, elles me tendent les bras et m'agrippent fermement pour m'introduire enfin dans l'avion.
L'une d'elle me caresse le bras et me murmure : bravo ...
Enfin assise j'observe à travers le hublot, des hommes armés de Kalachnikov alignés le long de l'avion, ce sont des pasdaran... les gardiens de la révolution. Combien sont-ils ? 10 ? 12 ? mon cœur s'emballe : cela ressemble à un peloton d'exécution ... Fermeture des portes ... L'avion roule sur le tarmac... jusqu'au décollage, je ne pourrai les quitter des yeux.
J'y suis arrivée !
"Nous survolons toujours le territoire Iranien , je vous demande de garder vos foulards"Je tends la main pour dénouer mon foulard...
- non, non Mademoiselle pas maintenant !
Je regarde l'hôtesse étonnée , elle a toujours son petit foulard
-attendez encore un peu !
Elle se dirige vers le poste de pilotage
Nous entendons le commandant de bord d'une voix ferme annoncer :
- Mesdemoiselles , mesdames , nous survolons toujours le territoire Iranien , je vous demande de garder vos foulards jusqu'à la fin de la traversée du pays , nous devons respecter les lois de chaque pays que nous traversons !
Soupirs des passagères exaspérés impatientes de se libérer.
Plus tard c'est le moment que nous attendions tous ...D'une voix enjouée le commandant annonce :
Nous venons de quitter les territoires iraniens , mesdames vous pouvez abandonner vos foulards si vous le désirer !
Les cris de joies retentissent et les foulards volent en l'air dans l'avion et se mélangent à nos rires...
Début d'une vie libre pour nous tous , ce morceau de tissu qui rappelle aux femmes qu'elles sont soumises et aux hommes qu'ils ont perdu leur liberté de penser, ce morceau de tissu qui nous rappelle que nos corps nous appartiennent plus, qui nous culpabilise de notre joie de vivre simplement
Les hôtesses partagent notre joie, ramassent les foulards et essaient de les ramener à leur propriétaire
On n'en veut plus ! .... Jetez les ! ... s'écrient tous les passagers !
C'est à ce moment là que depuis bien longtemps, je m'entend rire. La douleur se réveille, j'essaie de retrouver une position qui me soulage.
- ça va ? Vous allez bien ? me demande l’hôtesse
- Oui merci , ça va aller
Vous avez besoin de quelque chose ?
Je la regarde sans pouvoir lui répondre
Elle a un joli visage et des yeux remplis de tendresse , tant de bienveillance en une personne est un vrai remède.
Elle revient avec un oreiller et une couverture ,
J'ai des difficultés à déplacer mon corps , elle cale l'oreiller dans mon dos avec beaucoup de délicatesse et me couvre
Merci ... Je regarde les nuages courir sous l'aile de l'avion.
- Je vous ai apporté un remontant ! Cette fois c'est un steward , les yeux pétillants et me tend un verre rempli d'un liquide doré et les glaçons scintillent
- Cela vous fera du bien , ça vous dit ? Il laisse apparaître en une ligne courbée ses dents parfaitement alignées et blanches , je prends le verre hume l'odeur et avale une gorgée qui chatouille ma gorge et me réchauffe , je viens de goûter pour la première fois un whisky !
Chaque instant est merveilleux , je découvre le bien être de l'insouciance perdue depuis cette révolution imposée qui est devenue Islamique.
Je réalise que mon destin vient de changer en un peu plus de 24 heures.
Il est 7h du matin lorsqu'on sonne à la porte.
Mon père est déjà très pâle: c'est un huissier qui me demande
Je dois signer dans son cahier et il me remet une enveloppe avec le sigle de la justice du gouvernement islamique.
Je donne immédiatement le courrier à mon père, il l'ouvre et nous le lisons ensemble.
C'est un ordre d'expulsion gouvernementale pour non respect des lois islamiques et La Défense de la démocratie... :
Vous avez l'autorisation de quitter les territoires iraniens dans les 3 jours. Passé ce délai nous vous conseillons de vous présenter spontanément aux autorités concernées dans les deux jours, à l'expiration de ce dernier délai les gardiens de la révolution se verront dans l'obligation de procéder à une arrestation...
Les yeux de mon père se remplissent de larmes, ses lèvres tremblent, il regarde ma mère et lui tend le papier,
Il m'embrasse sur la joue et appelle son frère et un de ses amis
Avant de sortir il demande à ma mère
- prépare une petite valise pour Sora...
À partir de ce moment je ne peux plus ni téléphoner ni sortir de la maison...
Ce sera la France
Ce bout de papiers a été transmis aux ambassades de 4 pays, par l'intermédiaire d'un ami d'enfance de mon père: Angleterre, Allemagne, Canada et France. Les quatre ont donné une réponse immédiate avec avis favorable pour m'accueillir
Au téléphone mon père me demande :
- quel pays tu choisis ?
La France ... Le billet d'avion est pour le lendemain, le soir même toute ma famille est là, mes oncles, mes tantes et mes cousins, personne ne veut me laisser seule, j'entends mon oncle dire qu' autour de l'immeuble grouillent les Pasdaran, ces fameux soldats de l'armée de la révolution. Depuis celle-ci, le nombre des pasdaran ne cesse d'augmenter, chacun dès son engagement perçoit un ensemble d'ameublement et de cuisine aménagée ...
Je regarde depuis ma fenêtre "mes montagnes", toujours majestueuses et imperturbables. Après tant d'années de souffrances et batailles sanguinaires, elles sont toujours debout, elles m'ont accompagnées et soutenues dans chacune de mes démarches. A chaque désespoir et rage, il m'a suffit de les regarder pour qu'elles me rassurent, parfois même je les ai entendu me murmurer: allez debout !
Ma mère et mes tantes préparent ma valise , j'exige d’emporter mes deux livres de Hafez et de Khayam ...
Mon père est déjà très pâle: c'est un huissier qui me demande
Je dois signer dans son cahier et il me remet une enveloppe avec le sigle de la justice du gouvernement islamique.
Je donne immédiatement le courrier à mon père, il l'ouvre et nous le lisons ensemble.
C'est un ordre d'expulsion gouvernementale pour non respect des lois islamiques et La Défense de la démocratie... :
Vous avez l'autorisation de quitter les territoires iraniens dans les 3 jours. Passé ce délai nous vous conseillons de vous présenter spontanément aux autorités concernées dans les deux jours, à l'expiration de ce dernier délai les gardiens de la révolution se verront dans l'obligation de procéder à une arrestation...
Les yeux de mon père se remplissent de larmes, ses lèvres tremblent, il regarde ma mère et lui tend le papier,
Il m'embrasse sur la joue et appelle son frère et un de ses amis
Avant de sortir il demande à ma mère
- prépare une petite valise pour Sora...
À partir de ce moment je ne peux plus ni téléphoner ni sortir de la maison...
Ce sera la France
Ce bout de papiers a été transmis aux ambassades de 4 pays, par l'intermédiaire d'un ami d'enfance de mon père: Angleterre, Allemagne, Canada et France. Les quatre ont donné une réponse immédiate avec avis favorable pour m'accueillir
Au téléphone mon père me demande :
- quel pays tu choisis ?
La France ... Le billet d'avion est pour le lendemain, le soir même toute ma famille est là, mes oncles, mes tantes et mes cousins, personne ne veut me laisser seule, j'entends mon oncle dire qu' autour de l'immeuble grouillent les Pasdaran, ces fameux soldats de l'armée de la révolution. Depuis celle-ci, le nombre des pasdaran ne cesse d'augmenter, chacun dès son engagement perçoit un ensemble d'ameublement et de cuisine aménagée ...
Je regarde depuis ma fenêtre "mes montagnes", toujours majestueuses et imperturbables. Après tant d'années de souffrances et batailles sanguinaires, elles sont toujours debout, elles m'ont accompagnées et soutenues dans chacune de mes démarches. A chaque désespoir et rage, il m'a suffit de les regarder pour qu'elles me rassurent, parfois même je les ai entendu me murmurer: allez debout !
Ma mère et mes tantes préparent ma valise , j'exige d’emporter mes deux livres de Hafez et de Khayam ...
* * *
Les mouvements de l'avion me bercent , je regarde l'heure , il est 8 h du matin, je somnole.
L'avion descend tout en douceur , je vois le paysage qui s'approche , mon cœur s'emballe
Comment vais-je m'y prendre avec l'inconnu ?
J'entends la respiration de mon père près de moi, il observe avec moi ces montagnes que nous avons parcourues ensemble, il a un regard profond et lointain, il s'assoit au bord du lit et me regarde longuement, à cet instant aucune parole n'est indispensable, nos regards communient, ainsi nous revoyons nos souvenirs communs, un sourire dessine ses lèvres ...
-une nouvelle vie commencera demain pour toi , tu vas pouvoir t'affirmer en tant que femme dans une société respectable où tu pourras dessiner et modeler ta vie, j'ai confiance en toi et en tes jugements , tu sauras prendre les bonnes décisions ...
- Papa , et vous ? Qu'allez-vous devenir ?
Ne t'inquiète pas pour nous, tout ira bien je veillerai sur ton petit frère et ta mère, je sais que tu m'as toujours fait confiance. Aucune raison que cela change, tout ira bien, concentre toi sur ta vie, le chemin ne sera sans embûche.
Nostalgie
Je mesure aujourd'hui la souffrance de mon père, il a toujours su dire en peu de mots et un regard ce dont j'avais besoin, sous une phrase de mon père se cachait à chaque fois un livre, mes souvenirs d'enfance sont toujours aussi animés et surgissent souvent avec la même vivacité qu'un enfant de 10 ans, et me rendent heureuse: Les contes de mon père pour m'endormir, les jeux dans le jardin, sentir le parfum des roses les yeux fermés et les reconnaître... Je me souviens encore de cette rose que je avais nommée La Sorcière, grande, belle et élancée d'une couleur rouge-noire au parfum poivré, à chaque fois j'éternuais deux fois et mon père éclatait de rire ...
Et ces nuits étoilées où nous partions à l'aventure pour toucher une étoile dans le ciel et finir par se dire avec espièglerie qu'on en attrapera bien une un de ces soirs ... Et nos traversées des montagnes, marcher encore plus pour vaincre la fatigue ...
Mon père me donnait donc sa bénédiction pour un monde meilleur avec cette certitude que j'y arriverai.
Aujourd'hui je le peux confirmer: ce parcours fut à la fois joyeux et douloureux comme une magnifique histoire d'amour...
A propos :
Accusation de viols dans les prisons iraniennes en 2009 > https://iranenlutte.wordpress.com/2009/08/13/accusation-de-viols-dans-les-prisons-iraniennes/
L'Arabie Saoudite exige que nos hôtesses d'Air France soient voilées
Dim 3 Avr - 16:59
L'Arabie Saoudite exige aujourd'hui que nos hôtesses d'Air France soient voilées
Comme Michèle Obama, tenez bon ! Tellement #PlusBelleSansHijab notre hôtesse d'#AirFrance >> https://t.co/HSs9IQKpaT pic.twitter.com/6ycPwrxy7S
— Calcنlette (@LaMutine) 3 avril 2016
- tangosierra74Invité
Re: 24h pour tout quitter sans se retourner !
Lun 6 Aoû - 23:43
Ton récit est très prenant Soraya et se lit avec les tripes nouées. Tu rends admirablement l'atmosphère pesante du totalitarisme dans lequel tu évoluais. Et ton arrivée en France on ressent cela comme un bain qui t'a lavée des sanies accumulées dans ton pays d'origine. L'atmosphère est tellement lourde que tes alternance de passages de ta vie en Iran et en France rend l'ensemble moins oppressant et fait apparaître un coin de ciel bleu et de l'espoir au milieu de toute cette violence tant physique que mentale ... l'apanage des régimes totalitaires.
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