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Soraya
Soraya
Féminin Nombre de messages : 8
11022016
"Adieu Téhéran" par Soraya


Le Louvre clandestin et la voix de la Liberté Nu_10
Le Louvre clandestin

Chapitre 3

Je me réveille en sursaut. Dans mon rêve, Mina lisait un livre mais au lieu d'entendre sa voix, les  lettres formant les mots sortaient de sa bouche  et se dispersaient, j'essayais  en vain de les attraper et assembler les phrases.
Pendant quelques secondes je me crois encore auprès d'elle dans sa chambre, puis le rêve se dissipe peu à peu, je suis à  Paris , je me lève d'un bond, un souvenir me hante, pourquoi je n'y ai pas pensé plutôt ?
Elle est ici ! Je me prépare rapidement,  descends les six étages à toute vitesse ...
Dans le métro je regarde rapidement le plan pour repérer la ligne et les correspondances .
Dans un compartiment, je regarde les visages calmes et détachés, j'observe les expressions avec une telle curiosité que certains détournent le regard...

Arrivée station  "Louvre"
Munie de mon ticket, je rentre dans la salle... elle n'est plus très loin, au bout de quelques minute je la vois fière et sensuelle, je suis maintenant devant elle je la contemple éblouie, j'observe chaque partie de son corps...
Je pense à eux  
Il y a encore quelques semaines nous étions ensemble, je ressens leur présence, ils sont avec moi, tout autour de moi,  nous admirons ensemble  la fille du peuple , la déesse mythique , belle et  fugueuse ...
La liberté guidant le peuple
Jacques Delacroix
* * *

Le Louvre clandestin et la voix de la Liberté Azi_de10
Je me souviens
Nous sommes  jeudi , après une conférence obligatoire spécifiquement prévue pour les filles des quartiers du nord de Téhéran qui ne savent pas respecter les traditions islamiques, je rentre chez moi. Le foulard et mon manteau ample et large qui doivent cacher mes formes sur la totalité de mon corps m'étouffent, je jette mon sac à dos sur mon lit, retire le foulard et je me dirige vers la salle de bain, je retire mes vêtements timidement devant le miroir de la salle de bain.

Mon reflet  me surprend , je regarde mes courbes et mes formes avec une curiosité toute nouvelle. La pointes de l'index posée sous mon menton, je dessine une ligne droite jusqu'à la naissance de mes seins, je suis leur contour puis descends jusqu'au nombril... 

Le visage de la prêcheuse est rempli de rides rappelant son éternel mécontentement et sa nervosité, le tchador maintenu par un élastique sur le crâne couvre son manteau déjà large, les filles des quartiers du nord doivent apprendre à se comporter comme une bonne musulmane digne de ce nom... Les femmes ont malheureusement hérité de ce corps honteux et on se doit d'en être conscient mais comment l'apprivoiser dignement ? Elle préconise le retrait de tout miroir chez soi, la meilleure façon est de ne jamais voir le reflet de ce corps maudit pour éviter les flammes de l'enfer...
Ô ! Irai je en enfer ?

J'ouvre le robinet de la douche un fin filet d'eau s'en échappe, depuis la guerre une économie d'eau est imposée, j'ouvre au maximum le robinet , toujours le même débit...
Je ferme les yeux et respire le shampooing, chèvrefeuille ... Je remplie le creux de ma main, je dépose délicatement sur mes cheveux longs et bouclés qui ont tant de mal à respirer sous le foulard, je regarde le savon blanc sans odeur qui assèche ma peau encore plus à chaque fois, tant pis pour les restrictions, je reprends un peu de shampooing que j'étale sur ma peau doucement, je suis les courbures interdites délicatement pour encore mieux les reconnaître ...

Lorsque vous vous lavez , utilisez un gant de toilette pour ne pas toucher votre corps  de préférence assez "rugueux " Passez sur le corps les yeux fermés rapidement avec des mouvements fermes et rapides ... Le gant est important la seule personne qui pourra vous toucher sera votre mari !
Les flammes de l'enfer nous y voilà !

Nous sommes piégées dans cette salle de conférence, forcées d' écouter cette femme qui ne peut prononcer le mot nu, - celui-ci est à chaque fois remplacé par deux toux simultanées - et nous conseille donc l'automutilation !
Les femmes musulmanes aiment-elles souffrir ?  

Je me rince en essayant de passer ce mince  filet d'eau sur tout mon corps
À nouveau devant le miroir je me regarde sécher mon corps, j'approche le miroir
Je me fixe, déterminée à me regarder et je murmure Tu iras en enfer ...

Je regarde par terre les bidons d'eau que nous remplissons en cas de coupure d'eau, deux sont vides, je les remplis et les range. Je sèche mes cheveux qui se gonflent, m'amuse quelques instants avec quelques boucles pour les positionner çà et là ...  puis avec ma brosse, d'un coup sec  les ramène en arrière comme pour les punir, attachés par un élastique fermement.

Je me rhabille, vide mon sac et ouvre mon placard fermé à clef, je récupère le livre et le glisse au fond de mon sac repositionnant mes manuels scolaires pour le protéger. Je choisis un manteau et un foulard et vérifie une dernière fois ma tenue réglementaire.
Je laisse un mot pour ma mère réfléchissant aux termes adaptés : il me faut impérativement  un grand miroir dans ma chambre !  Je ne suis pas une fille capricieuse pour ainsi dire, rarement je fais des demandes ... Les parents comprendront ...

En sortant de chez moi j'emprunte le chemin vers la grande avenue pour prendre un taxi, à l'intersection d'un carrefour apparait mon Lycée avec des grandes lettres inscrites "La voix de la liberté" !  Relisant ce nom, je soupire et le laisse échouer à ma gauche, j'avance une centaine de mètres et arrête un taxi. Je lui donne le nom d'une rue, je me cale auprès d'une femme et son enfant. Un quart d'heure plus tard je demande au chauffeur de s'arrêter, je lui glisse dans la main des pièces de monnaie, je descends et traverse la rue, je longe les boutiques sur une cinquantaine de mètres et je bifurque dans une transversale.

Je sens la fraîcheur des bois et des montagnes, j' arrive à un terrain de vague piégé entre les montagnes et les arbres. Je me rappelle des chiens errants qui vivent cachés dans ces parages - dans les faits divers nous lisons de temps en temps des histoires de femmes et enfants déchiquetés par les chiens affamés - Je regarde le terrain dans toutes sa longueur, tout est calme, j'avance sans m'attarder, au milieu du terrain j'entends des aboiements et hurlements, j'ai l'impression d'être leur proie, la peur m'envahit, je me sens épiée, je cours ... j'entends toujours ces hurlements.
J'arrive sur la petite rue, je tourne à gauche, longe le mur sur le trottoir. De l'autre côté se trouve le jardin de Jamshid, arrivée à destination, je sonne deux fois.

C'est Siamac qui m'ouvre
- Dépêche toi, il est hors de lui
- Oh ! Jamshid est toujours hors de lui ...
Nous traversons la petite allée, de part et d'autre de grands arbres fruitiers, d'immenses noyers centenaires, des cerisiers, des poiriers. Je respire à plein poumon ces odeurs délicieuses.
Nous montons quelques marches et pénétrons dans la maison.
Dans le salon Mina est déjà installée et recopie un poème, Sima et Arman regardent vers la bibliothèque où Jamshid cherche fébrilement quelque chose, Behnaz sort de la cuisine avec un plateau où sont disposées des tasses déjà remplies de thé, suivie de Farhad avec des petits gâteaux.

Jamshid se retourne et me voit. Ah te voilà toi ? Il avance vers moi avec un porte document  à la main  et me regarde d'un air interrogateur de professeur.  J'ouvre mon sac et je sors le livre, il le regarde, je remarque une lueur dans ses yeux, il sourit et secoue le livre en se retournant vers les autres  :  Nana !
Nana est le livre que je veux sauver! Khomeini vient de lancer une fatwa : les livres d'Emile Zola sont désormais interdits Posséder certains de ses livres pourrait être  passible de la peine de mort !

Jamshid est un ancien enseignant de littérature, grâce à lui nous nous réunissons une fois par semaine dans les lieux différents, chez les uns et les autres, chez ses amis ... pour lire ensemble les livres interdits. Il nous remercie un par un à chaque fois de notre présence car c'est uniquement pendant ces moments qu'il se sent vivre ...
Une fois par mois nous venons chez lui , nous lui apportons les livres et objets qui deviennent haram que nous devons détruire. Chaque livre est un trésor à sauver, n'oubliez jamais nous sommes les enfants de Ferdowsi, nous dit-il en ouvrant ses bras.

Mais viens voir ce que nous a apporté ce cher Farhad qui étudie l'art à la grande université
!
Une image apparait dans un fascicule : les hommes autour d'une tâche  noire ! Nous rions tous, l'islam a encore frappé : l'image est censurée...

Il ouvre son porte document , retourne quelques feuilles cartonnées.  Ah la voilà , il dépose la feuille cartonnée à côté de l'autre Et nous admirons la jeune femme
Je m'installe confortablement prête à l'écouter de nous parler de la fille du peuple, son bonnet phrygien et ses mèches flottantes sur la nuque ...

Durant les semaines qui suivent Jamshid nous présente  de nombreux artistes peintres et leurs œuvres majeurs choisies avec soin parmi les chefs d’œuvre  ... Ainsi nous entreprenons un voyage dans le temps  avec les peintres renommés tels que Delacroix  , Poussin , Pissarro , Degas , Monet , Manet , Rousseau , Van Gogh , Cézanne, Renoir et tant d'autres... des cours succincts juste pour  éveiller nos curiosités. Nous sommes pris par ces tourbillons littéraires interdits qui nous projettent loin de la où nous sommes, nous font rêver et voyager .

Jamshid développe chez nous "l'interdit" selon l'islam et le don d'être là et ailleurs, nous apprenons à nous exprimer librement mais aussi à nous taire ! Nos déductions sont parfois dangereuses pour un régime dirigé par les mollahs . Les intellectuels sont difficiles à détecter selon les mollahs, ceux qui lisent les livres interdits, ils sont dispersés en petits groupes un peu dans tout le pays, ils réclament l'indépendance de la pensée... et rejettent  les commandements sacrés de l'islam ! Il ne s'agit donc pas d'un parti politique opposant,  pire: il s'agit de ce peuple iranien qui résiste !
Les intellectuels sont pourchassés, torturés, assassinés ...
Ce sont des journalistes, des écrivains, des professeurs, des enseignants et leurs élèves cachés ...

Nous sommes dans la nasse, nous observons, écoutons sans adhérer aux lois islamiques qui refusent l'évolution de l'homme  mais qui libère les instincts les plus primitifs de l'homme en glorifiant les viols et meurtres des mécréants qui osent le contredire la parole d'Allah.
Donc Allah en Iran avait choisi Khomeini un des hommes des plus sanguinaires de l'histoire comme messager
Aux yeux de l'Occident nous étions  des charmants jeunes gens qui s'instruisaient , pour Khomeini des ennemis d’État ...

Nous étions  tous fatigués des caprices et la schizophrénie de l'islam et ses interdictions devenues de plus en plus nombreuses , la musique, les chants, les parfums, l'équitation et la natation pour les filles, le maquillage, les bijoux ... ne pas constituer des groupes de plus de 4 personnes et bientôt nous n'aurons  plus le droit de rire dans l'espace public ... La Femme perd son émancipation, sa vie est désormais entre les mains de son père ou celles de son mari ...

J'adore nos réunions pendant lesquelles parfois les activistes nous rejoignent comme pour s'abreuver de la bonne parole, Jamshid leur demande de ne jamais solliciter notre aide.
Mais comment peut-on accepter de ne pas les aider ?...
                       
A suivre


Dernière édition par Soraya le Sam 13 Fév - 20:20, édité 1 fois
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Commentaires

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Lun 6 Aoû - 23:48tangosierra74
Lorsque tu évoques tes rendez-vous secrets avec ton prof et tes amis on sent le danger qui plane, et quand tu racontes ta visite au Louvre pour voir la toile de Delacroix qui était censurée dans ton livre en Iran on explose de joie avec toi devant ton bonheur de cette liberté dont tu jouis alors.  L'opposition est parfaitement transposée.
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