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Soraya
Soraya
Féminin Nombre de messages : 8
11022016
"Adieu Téhéran" par Soraya


Je regarde la foule, un des frères vient d'être égorgé, Narguesse arrêtée " Pour_a10

Je regarde la foule

J'arrive en France avec ce trésor dans le cœur, cette preuve d'amour de mes parents de m'avoir offert la liberté
Debout, sacs au dos, nous sortons à petits pas hésitants de l'avion                                                                          
J'emprunte immédiatement un couloir, une odeur particulière et inconnue me saisit,  m'envahit et m'enchante , je suis à Paris ! Dans l'aéroport  tout le monde est souriant. Par la grande baie-vitrée, Je vois les enfants courir dans des éclats de rires. Instinctivement je regarde autour de moi, pas l'ombre d'un corbeau pour réprimander ces enfants qui ont l'audace de vivre .
Ce pays est décidément le pays de bonheur , les rires enchantent mon cœur  et j'ai envie de les rejoindre, courir et rire avec eux

Une cabine téléphonique, je compose le n°
- Soraya ?
- Maman !
- Tu vas bien ?
- Oui je suis à Paris  (je l'entends pleurer)
- Merci, merci ma chérie  d'être partie, elle sanglote et ne peut plus rien dire
Mon père prend le combiné
- es-tu blessée ?
- Non ça va ... tout va bien !
- On t'a vue aller vers l'avion, mais tu étais la dernière, tu es restée plus d'une heure dans le bureau des vérifications !
- Ah oui ! Vraiment ?!
- On était très inquiets, on a tous attendu que l'avion décolle, les enfants étaient là aussi mais on ne leur a pas parlé .... ta nouvelle vie commence, applique-toi , tu vas pouvoir écrire  cette nouvelle vie à ta guise ...

Les enfants ... Mon père nommait ainsi mes amis "les enfants" , ils étaient donc là. J'imagine leurs visages me regardant monter péniblement dans l'avion ... Et lui ? Est-ce qu'il était là ? Quelqu'un l'a prévenu ? On devait se revoir dans... 3 jours ...

J'aimerais dire à mon père qui continue à me parler, que je suis envahie par cette angoisse et j'aimerais qu'il soit là maintenant  pour me blottir  dans ses bras et qu'il me serre comme à chaque fois que j'étais triste ou angoissée , j'avais envie lui dire , rejoins moi ! J'entends ma mère :
- on est là tout près de toi à chaque jour ...
Mais j'étais loin d'imaginer que le destin allait nous séparer encore pendant 15 ans ...

Une nouvelle vie commence
Nous sommes le 29 janvier 1984 , j'ai fêté mes 18 ans il y a un peu plus d'un mois , je commence une nouvelle vie en France. Dehors les passants courbés courent pour échapper à la pluie, je sors , une  pluie fine et douce caresse mon visage ... S'il existe un bonheur dans l'univers, il devra s'appeler Paris. Tel un diamant éternel Paris scintille de mille lumières , anime les cœurs et les âmes , je suis fascinée par tant de beauté, ses formes et architectures qui racontent son histoire avec tant de charme, je suis aspirée par cette ville qui m'enveloppe un peu plus chaque jour  ...

J'ai une grande envie de découvrir et de connaitre encore plus cette culture admirablement préservée, j'aimerais en être imbibée totalement, avec les français je lave mon âme je me sépare définitivement des puanteurs des années passées sous un régime islamique, je ré-apprends tout en douceur la joie de vivre avec l'honnêteté du cœur et l'amour de son prochain. Chaque matin, je prends des cours de français à l'alliance Française et  passe mes après midis à la bibliothèque "Georges Pompidou". J'évite instinctivement les Iraniens sans doute par crainte de rencontrer des imposteurs.

C'est dans les couloirs de l'alliance française que j'entends une Iranienne déclarer que le racisme existe en France ... Nos regards se croisent et je lui envoie immédiatement une décharge devant cette mauvaise foi, nous sommes au moins deux, elle et moi , à savoir l'injustice de ce mensonge. Le racisme existe bien sûr mais en elle, elle le transporte tel un boulet enchaîné à ses pieds, elle utilise le terme  pour attirer l'attention vers elle et soulager son infâme conscience dont je reconnais le style. Étonnement elle se tait et quitte l'établissement , je ne la quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Quelques temps plus tard, elle me propose avec insistance d'assister à une réunion entre iraniens pour une réflexion sur notre avenir, devant mon obstination à connaitre les contenus réels de cette réunion et les intervenants , elle fini par céder et avoue qu'il s'agit de ce groupe islamique , les moudjahidines qui seront expulsés de France vers l'Irak  ...


* * *

Ce mot "raciste" me ramène un an en arrière à Téhéran.

1983 ,  Narguesse vient d'être arrêtée et comme après chaque arrestation nous savons qu'une vie va s'éteindre précocement, nous cessons alors nos activités politiques clandestines , c'est notre façon de débuter le deuil pour pouvoir recevoir la nouvelle morbide ...

Ce jour là, je quitte la maison pour acheter quelques livres pour ma préparation aux concours universitaires, la librairie se trouve dans un quartier populaire au centre de Téhéran, je prends le bus qui traverse la ville du nord vers le sud , au bout de quelques minutes le calme apparent des quartiers du nord cède aux chaos des quartiers populaires, la pollution remplace l'odeur des cerisiers en fleurs, je descends du bus, je dois encore parcourir un petit km pour arriver à ma destination .

Je passe dans une ruelle , j'entends des pas qui courent derrière moi suivis de hurlements, deux hommes tentent d'échapper à une foule enragée, de leur allure je reconnais leurs origines, ce sont des Afghans. Ils sont apeurés et éreintés, je reste immobile dans le coin d'une porte donnant sur le trottoir, mais la foule n'est pas loin, elle m'entraîne avec elle, je tiens fermement mon foulard que je sers à double nœuds, les insultes de tout genre fusent, je pense que de toute mon existence je n'avais pas entendus autant de mots sexistes, racistes, je ne connaissais pas de ma langue maternelle autant de vocabulaire ignoble et honteux, des odeurs corporelles aussi infectes que les mots me donnent envie de vomir, ces gens qui oublient l'hygiène se contentant de leurs ablutions  journalières...  je suis impressionnée par toutes ces marques sur les fronts qui signent les hommes pieux !

Je comprends dans les cris et protestations que ces deux frères avaient osé réclamer un peu de respect alors qu'ils ne sont que de petits maçons Afghans. La foule finit par les attraper, les hurlements redoublent les cris Allah Akbar... Mon cerveau m'ordonne de quitter cette foule rapidement sans mot dire, ma bouche en a décidé autrement je hurle "mais arrêtez , laissez les tranquilles !"

Je suis jetée à terre , on me piétine, je pousse les jambes et de rage, je réussis à me relever, je retourne sur le trottoir, je frappe à une porte pour demander de l'aide , personne ne m'ouvre , je pense recevoir un jet d'eau chaude sur le visage venant de la foule, j'essuie mais je découvre ma main pleine de sang, je regarde la foule, un des frères vient d'être égorgé, le deuxième subit un autre sort, une balle dans la tête. Accroupie et visage tourné vers cette porte qui reste ostensiblement fermée je fais le vœu qu'elle veuille bien au moins m'avaler et me faire disparaître .

Les sirènes des véhicules de pasdaran se mêlent aux hurlements et cris Allah Akbar, la foule présente fièrement ses gibiers, ces ennemis de l'islam manquant de respect au peuple saint. Les corps sont récupérés, je sens  l'haleine d'un pasdar :
- Que fais tu dans ce quartier ma sœur ?
sans le regarder je lui donne ma destination, j'entends la voix stridente d'une femme qui crie, laisse mon frère je m'en occupe ! C'est un corbeau...

Si l'acte se réalise au cri d'Allah Akbar c'est parce que cela a été sa volonté...
Je lève la tête et vois cette foule haineuse et illettrée, inculte et meurtrier, j'ai envie de hurler "mais à quel moment  êtes vous devenus des assassins ?" Mais je connais déjà  la réponse, c'est cette religion ignoble, cet islam qui a rendu libre tous les esprits malades, malsains et psychopathes. Ils sont capables de tuer leur propre frère par simple jalousie mais avec un Allah Akbar tout devient possible car Allah permet de tuer le mécréant et le traitre. Si l'acte se réalise au cri d'Allah Akbar c'est parce que cela a été sa volonté...  Je les connais ceux-là pour avoir vu des scènes semblables aussi ignobles que cruelles pendant la révolution où les militaires de l'armée du Shah d'Iran étaient les cibles pour ces derniers l'horreur a été poussée à son maximum , ils ont fini hachés ...  
Ça en finira donc jamais...
Le corbeau tient mon bras fermement et me traîne avec elle vers le poste des gardiens de la révolution islamique ...

De ma chambre  je regarde les toits de Paris où les rayons du soleil capricieux s'amusent , dansent en laissant des halos dorés ou argentés selon leurs humeurs du moment , je pense à ces deux frères et je m'interroge. Ont ils eu juste le malheur de rencontrer l'islam sans aucune méfiance ou ont-ils participé à la constitution de cet islam comme d'autres et été trahis ensuite ?...
Je tends ma main pour caresser quelques rayons de soleil qui s'invitent chez moi .
A suivre
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