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Calculette
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Article de presse "Seul le christianisme est sécularisé" par Luc Ferry

Mar 18 Aoû - 9:46
L'interaction entre religions et sociétés civiles évolue avec le temps. Penseur et spécialiste, Luc Ferry livre ici son analyse et ses réflexions.
Il revient sur la part de cette doctrine religieuse dans le fonctionnement de la pensée moderne, plutôt cartésienne. Luc Ferry s’attache à montrer comment le christianisme a mis en place une « doctrine du salut et de la vie bonne » si essentielle aujourd’hui dans quelque perspective que l’on se place.


Comment le christianisme, sécularisé, imprègne-t-il notre société ?
En vérité, presque toute la morale moderne est issue de la parole évangélique. Souvenez-vous de la parabole des "talents". Un maître confie à ses trois serviteurs, avant de partir en voyage, une somme d'argent. Il donne cinq talents au premier, deux au deuxième et un seul au dernier. A son retour, les deux premiers lui rendent dix et quatre talents - et il les félicite à égalité - mais le dernier n'en restitue qu'un seul. Au lieu de le faire fructifier, il l'a enterré par peur du maître... qui le chasse! Cette parabole d'apparence anodine représente en réalité une véritable révolution. Elle signifie que la valeur morale d'un être dépend non pas des dons naturels qu'il a reçus au départ, mais de ce qu'il en fait ; pas de la nature, mais de la liberté. C'est une rupture avec le monde aristocratique, où la
hiérarchie sociale reflète les inégalités naturelles. Un trisomique 21, d'un point de vue chrétien, a la même valeur morale, a priori, qu'Einstein: tout est fonction non de ses talents naturels, mais de ce qu'il en fait. Kant et les républicains français reprendront ce thème en expliquant que les dons naturels - beauté, mémoire, intelligence, force... - ne sont pas bons moralement en eux-mêmes. La preuve? Ils peuvent tous être mis indifféremment au service du bien comme du mal, ce qui prouve que c'est seulement leur usage qui est moral. C'est cette sécularisation de la parabole des talents qui fondera les premières grandes morales laïques. C'est elle qui imprégnera tout le droit républicain. 

Le talent est récompensé... s'il y a eu effort!

Exactement, et c'est là l'autre implication essentielle de cette parabole: la valorisation du travail. Un aristocrate joue, ripaille, fait la guerre, mais il ne travaille pas - il y a des esclaves pour ça. En revanche, si la vertu morale ne réside plus dans les dons naturels, mais dans ce qu'on en fait, le travail est valorisé. Ce sont les moines qui, en Europe, vont être les premiers à le mettre en valeur, car ce qui compte, c'est la fructification de ce qu'on a reçu. Un homme qui ne travaille pas n'est pas seulement un homme pauvre, il est aussi un pauvre homme, qui n'est pas "cultivé". Paresse et égoïsme sont les deux péchés principaux pour l'instituteur républicain, qui est plus chrétien qu'il ne l'imagine. La vertu n'est plus l'actuali-sation d'une nature bien née ; au contraire, elle lutte contre les penchants naturels à la paresse et à l'égoïsme.

Le christianisme aide-t-il à avoir une "vie bonne"?
Il développe en tout cas une philosophie de l'amour. Le stoïcisme et le bouddhisme nous invitent au "non-attachement": "Quand tu embrasses ton fils, dit Epictète, songe qu'il peut mourir, comme le verre de vin que tu as lâché hier sur le sol s'est brisé." Au contraire, Saint-Augustin dira qu'on peut s'attacher, pourvu que ce soit à la partie non périssable de l'autre. C'est la théorie de "l'amour en Dieu" qui fondera le mariage: pour s'aimer vraiment, il faut un troisième terme, à savoir Dieu. Mais ce peut être, si on laïcise l'idée, un projet commun: militer, arranger une maison, élever des enfants... Précision, pour éviter une grave erreur: la partie non périssable de l'autre, ce n'est pas forcément l'âme opposée au corps, puisque le Christ annonce la résurrection de la chair. 


Face à la mort, la pensée chrétienne nous aide donc...
C'est le point le moins "sécularisable", car il engage la foi: si on ne l'a pas, ça ne marche pas. On peut être chrétien sans être croyant pour la philosophie de l'amour, mais pas pour les "retrouvailles" avec les disparus. Pourtant, l'idéal reste. Bernard Pivot avait un jour demandé à mon ami François Furet ce qu'il aimerait que Dieu lui dise s'il le rencontrait et cet athée convaincu avait répondu: "J'aimerais que Dieu me dise: "Entre vite, tes proches t'attendent." Réponse typiquement chrétienne! Au fond, ce qu'un athée gardera du message chrétien, c'est l'idée d'un dialogue avec les morts. On continue de se demander ce que ceux qu'on a aimés penseraient de ceci ou de cela, mais on ne croit pas pour autant qu'on va les retrouver vraiment. 



Dans le judaïsme et l'islam, la sécularisation est-elle possible?
Pour certains éléments, sans doute: ainsi le rapport à la loi dans le judaïsme. En cas de guerre, un juif même déjudaïsé préférera à juste titre la protection de la loi et de l'Etat à celle de l'amour! Il demandera la justice, pas le sentiment, encore moins la pitié. Mais il y a une grande différence. Mon ami le grand juriste tunisien Yadh Ben Achour m'a dit un jour: "Vous, les chrétiens, vous ne pouvez comprendre ce qui se passe chez les musulmans ni chez les juifs, car votre religion ne "juridifie" pas la vie quotidienne." En effet, le Christ laisse l'homme libre de son conseil. "Il accorde une place centrale au forum intérieur", ajouta-t-il. Il avait tout à fait raison. Ce qui compte, dans le christianisme, c'est l'esprit, non la lettre, comme on le voit dans l'épisode de la femme adultère.


Le christianisme est donc prêt à accepter la laïcité, à rendre à César ce qui est à César, alors que, dans les autres religions, l'obligation des rites quotidiens rend le passage à la laïcité très difficile: en Israël, pourtant véritable démocratie, la citoyenneté passe par la religion et il n'y a pas vraiment de mariage civil. En outre, dans le monde chrétien, on distingue très aisément la laïcité de l'athéisme, ce que les théocraties ont beaucoup de mal à faire. 

George Bush a montré que la "rechristianisation" du monde peut être une philosophie du pouvoir, le créationnisme est en vogue...
Le créationnisme est inexistant en Europe et l'Eglise catholique est réconciliée avec Darwin. Fides et ratio, l'avant-dernière encyclique de Jean-Paul II, est un hommage à la liberté de la recherche, qui récuse l'opposition entre vérité révélée et vérité scientifique: "Si un peu de science peut éloigner de Dieu, beaucoup de science nous y ramène." Cela dit, la déchristianisation de nos sociétés ne cesse de progresser. Il est possible qu'à l'avenir le christianisme prenne toujours davantage la forme sécularisée d'une morale et d'une sagesse de l'amour indépendantes de la foi.  

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